DÉCLARATIONS DE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE BAHÁ'ÍE
Vers une Humanité Prospère
Communauté Internationale Bahá'íe
1995
The Prosperity of Humankind (English/anglais)
I. Unité du genre humain
II. La justice
III. Redéfinition des relations humaines
IV. Science et religion
V. L'économie
VI. Le pouvoir
VII. Une stratégie de
développement mondial
A peine imaginable il y a seulement dix ans, l'idéal d'un monde en paix prend forme et substance. Des obstacles qui ont longtemps paru insurmontables se sont effondrés sur le chemin de l'humanité, des conflits qui semblaient insolubles commencent à céder devant un esprit de dialogue et une volonté de solution ; un désir d'opposer une action internationale unie à une agression militaire fait peu à peu son chemin. On voit ainsi s'éveiller tant parmi les peuples que parmi les dirigeants un certain espoir, espoir qui a bien failli mourir.
A travers le monde, d'immenses énergies intellectuelles et spirituelles cherchent à s'exprimer et la pression qu'elles exercent est à la mesure des frustrations des dernières décennies. Partout, les peuples de la terre, par une multitude de signes, affirment leur désir de voir la fin des conflits, des souffrances et de la ruine dont nul pays n'est à l'abri. Il faut tirer parti de ces nouvelles aspirations au changement pour vaincre les dernières résistances à la concrétisation du rêve séculaire de paix mondiale. Cette entreprise exige un effort de volonté impossible à susciter par de simples appels à lutter contre les innombrables maux qui affligent l'humanité. Cet effort doit être stimulé par la perspective d'une humanité prospère au plein sens du terme, autrement dit, par la prise de conscience des possibilités de bien-être matériel et spirituel désormais à sa portée. Tous les habitants de la planète devront en bénéficier, sans conditions préalables qui n'ont aucun lien avec les finalités essentielles de cette réorganisation des relations entre les hommes.
A ce jour, l'Histoire a surtout relaté le vécu de tribus, de cultures, de classes et de nations. Aujourd'hui, l'unification physique de la planète et la reconnaissance de l'interdépendance de tous ses habitants ouvrent enfin la porte à l'histoire d'un seul peuple, l'humanité. Le caractère humain lent et long à se civiliser, a suivi un processus sporadique et inégal, lequel processus, reconnaissons-le, fut souvent injuste pour répartir des avantages matériels. Néanmoins, les habitants de la terre, riches de toute la diversité génétique et culturelle acquise au cours des âges sont désormais mis au défi de puiser dans leur patrimoine commun pour assumer consciemment et méthodiquement la responsabilité de construire leur avenir.
Comment imaginer formuler la prochaine étape de l'évolution de la civilisation sans remettre en cause les attitudes et les postulats qui sous-tendent les approches actuelles du développement économique et social ? De toute évidence, il faudra repenser les questions concrètes de politique, l'utilisation des ressources, les procédures de planification, les méthodes de mise en oeuvre et les problèmes d'organisation. Ce faisant, les questions les plus fondamentales ne tarderont pas à se poser : quels buts faut-il poursuivre à long terme ? quelles structures sociales seront nécessaires ? quels effets les principes de justice sociale auront sur le développement ? quelle sera la nature du savoir ? comment contribuera-t-il à opérer un changement durable ? Bref, cette nouvelle façon de considérer les choses conduira nécessairement à rechercher un large consensus sur le sens même de la nature humaine.
Deux voies s'ouvrent directement à nous pour débattre de ces problèmes, conceptuels ou concrets, et c'est en empruntant ces voies que nous allons analyser dans les pages qui suivent comment élaborer une stratégie du développement global. La première voie concerne les opinions dominantes sur la nature et la finalité du développement ; la seconde porte sur les rôles attribués aux différents protagonistes.
Les présupposés qui président à la plupart des systèmes de planification du développement sont essentiellement matérialistes. Le but du développement y est en effet défini comme la mise en oeuvre réussie, dans toutes les sociétés, des moyens d'atteindre à la prospérité matérielle ; moyens qui à travers des essais et des erreurs, caractérisent déjà, empiriquement la démarche suivie dans certaines parties du monde. Certes quelque chose est en train de changer dans le discours sur le développement pour s'adapter aux différences de cultures et de systèmes politiques et répondre aux menaces graves qui pèsent sur l'environnement, mais pour l'essentiel le matérialisme des présupposés de base n'est guère contesté.
Au soir du vingtième siècle, il n'est plus possible de persister à croire que l'approche du développement économique et social, née de la conception matérialiste de la vie puisse répondre aux besoins de l'humanité. Les prévisions optimistes relatives aux transformations que cette approche aurait dû provoquer se sont toutes dissipées dans l'abîme qui sépare toujours plus, d'une part les niveaux de vie d'une petite minorité de la population en régression relative, et, d'autre part, la pauvreté qui afflige la grande majorité des habitants de la planète.
Cette crise économique sans précédent, jointe à l'effondrement social qu'elle a contribué à provoquer, témoigne de la faillite d'une certaine conception de la nature humaine. En effet, les réactions des êtres humains aux stimuli liés à l'état actuel des choses se révèlent non seulement inadéquates, mais paraissent quasi dérisoires par rapport aux événements qui se déroulent dans le monde. Cela montre que, si la société ne fixe pas à son évolution un objectif qui dépasse la pure et simple amélioration des conditions de vie matérielles, elle n'atteindra même pas ce simple objectif. Ce but est à rechercher dans la dimension spirituelle de la vie et dans une motivation qui transcende le paysage économique toujours mouvant et la division des sociétés humaines artificiellement imposée comme "développées" et "en développement".
Tout en redéfinissant l'objectif du développement, il apparaîtra nécessaire de revoir les conceptions sur la conformité des rôles à jouer par les protagonistes. Inutile de s'étendre sur celui crucial des pouvoirs publics à tous les niveaux. Les générations futures auront néanmoins du mal à comprendre qu'en une époque où l'on valorise une philosophie égalitaire et les principes démocratiques associés, la planification pour le développement n'envisage les peuples que comme de simples bénéficiaires d'aides et de formations octroyées. Même s'il est reconnu que le principe de la participation s'impose, la marge de manoeuvre laissée à la plupart des populations du monde est, au mieux, limitée à un choix d'actions formulé par des institutions qui leur sont inaccessibles et déterminée par des objectifs qui ne cadrent souvent pas avec leur perception de la réalité des faits.
Explicitement ou non, cette approche matérialiste est également partagée par les religions établies. Alourdie par une longue tradition de paternalisme, la pensée religieuse dominante semble incapable de traduire une foi, certes affirmée, dans la dimension spirituelle de la nature humaine en un sentiment de confiance dans l'aptitude de l'ensemble de l'humanité à transcender sa condition matérielle.
Cette attitude fait l'impasse sur ce qui est probablement le phénomène social le plus important de notre époque : s'il est vrai que les gouvernements de la planète s'efforcent, par le biais du système des Nations Unies de construire un nouvel ordre mondial, il est tout aussi vrai que cette même perspective galvanise les peuples du monde. Leur réaction a pris la forme d'une prolifération soudaine de mouvements et d'organisations oeuvrant pour un changement social aux niveaux local, national et international. Les droits de l'homme, la promotion de la condition féminine, les exigences sociales d'un développement écono- mique durable, la lutte contre les préjugés, l'éducation morale des enfants, l'alphabétisation, les soins primaires de santé, la défense d'une série d'autres intérêts vitaux, tout cela exige l'engagement d'urgence d'organisations où milite, dans toutes les parties du globe, un nombre croissant d'individus.
Cette réponse des peuples aux besoins criants de l'époque fait écho à l'appel lancé par Bahá'u'lláh, il y a plus d'un siècle : "Soyez vigilants aux besoins de votre époque et concentrez vos délibérations sur ses nécessités et sur ses exigences." Radicale du point de vue de l'histoire de la civilisation, cette modification dans la façon dont un grand nombre de gens ordinaires en vient à se considérer soulève des questions fondamentales quant au rôle à assigner àl'ensemble de l'humanité dans la planification du devenir de notre planète.
I. L'UNITÉ DU GENRE HUMAIN
Le principe de base d'une stratégie qui engage la population mondiale à assumer la responsabilité de son destin collectif doit se fonder sur la conscience de l'unité du genre humain. D'une simplicité trompeuse lorsqu'énoncé en termes généraux, le concept de l'humanité formant un seul peuple exprime une remise en cause fondamentale de la mani&egssivement une civilisation planétaire.
Poser les bases d'une civilisation mondiale revient à créer des lois et des institutions de nature et de portée universelles. L'effort ne pourra être amorcé que lorsque le concept de l'unité de l'humanité aura été accepté sans réserves par ceux qui ont la responsabilité de prendre des décisions et lorsque les principes qui en découlent seront propagés par les systèmes d'éducation et par les moyens de communication. Une fois ce seuil franchi, le mouvement ainsi déclenché poussera les peuples de la terre à formuler des objectifs communs et à s'engager à les atteindre. De plus, seul un changement de cap aussi radical pourra les protéger des vieux démons des luttes ethniques et religieuses. Ce n'est en effet qu'en prenant conscience qu'ils ne forment qu'un seul peuple que les habitants de cette planète seront en mesure de se détourner des schémas conflictuels qui ont dominé l'organisation sociale du passé, et qu'ils commenceront à emprunter les voies de la collaboration et de la réconciliation. "Le bien-être de l'humanité, sa paix et sa sécurité ne pourront être obtenus", affirme Bahá'u'lláh, "tant que son unité n'est fermement établie".
II. LA JUSTICE
La justice est la seule force qui puisse transformer la conscience naissante de l'unité de l'humanité en une volonté collective capable d'ériger sereinement les structures nécessaires à une vie communautaire mondiale. A une époque où il est de plus en plus facile aux peuples du monde d'avoir accès à une information multiforme et à une grande diversité d'idées, la justice s'imposera comme le principe directeur d'une organisation sociale réussie. Il faudra de plus en plus souvent soumettre le projet de développement de la planète à l'éclairage impartial de ses normes.
Au niveau de l'individu, la justice est cette faculté de l'âme humaine qui permet à chacun de distinguer le vrai du faux. Bahá'u'lláh affirme qu'elle est, aux yeux de Dieu, "la chose préférée" puisqu'elle donne à tout individu les moyens de voir par ses propres yeux et non par ceux des autres, de connaître par son propre jugement plutôt que par celui de son voisin ou de son groupe. Elle exige de nous un jugement impartial, un comportement équitable envers autrui ; elle est donc une compagne constante, quoiqu' exigeante, dans chaque acte quotidien de notre vie.
Au niveau du groupe, le souci de justice est l'indispensable repère d'une prise de décision collective, car c'est le seul moyen de parvenir à l'unité de pensée et d'action. Loin d'encourager l'esprit punitif qui lui a si souvent servi de masque par le passé, la justice est l'expression concrète de la notion, qu'en matière de progrès, les intérêts de l'individu et ceux de la société sont inextricablement liés. Dans la mesure où la justice devient la règle des relations humaines, un climat d'échange s'installe qui permet alors d'examiner, sans passion, les options en présence et d'adopter une ligne de conduite appropriée. Dans un tel climat, les éternelles tendances à la manipulation et à l'esprit partisan ont bien moins de chance d'infléchir le processus de prise de décision.
Les conséquences pour le développement économique et social en sont profondes. Le souci de justice protège la tâche de définir le progrès de la tentation de sacrifier le bien-être de la majeure partie de l'humanité - voire de la planète elle-même - au nom de progrès technologiques dont les retombées ne bénéficient qu'à des minorités privilégiées. En matière de conception et de planification, il empêche que des ressources limitées ne soient détournées au profit de projets étrangers aux priorités économiques et sociales essentielles d'une communauté. Mais surtout, seuls les programmes de développement susceptibles de satisfaire les besoins de l'humanité et dont les objectifs sont considérés justes et équitables auront des chances de gagner l'adhésion de masses dont dépend leur mise en oeuvre. Si tous les membres de la société - voire tous les groupes qui la composent - étaient assurés que des règles les protègent et qu'ils bénéficieront tous équitablement des fruits escomptés, ils réussiraient à faire preuve de qualités d'honnêteté, d'ardeur au travail et d'esprit de coopération nécessaires à la réalisation de grands objectifs collectifs, même astreignants.
Ainsi la question des droits de l'homme se trouve au coeur du débat sur la stratégie du développement économique et social. Concevoir une stratégie de ce type exige de se défaire de l'emprise des fausses dichotomies qui ont longtemps tenu les droits de l'homme en otage. Se préoccuper d'assurer à tous la liberté de pensée et d'action menant à l'épanouissement personnel ne justifie pas le culte de l'individualisme qui corrompt si profondément de nombreux pans de la vie contemporaine. Se soucier du bien-être de la société dans son ensemble n'implique pas non plus qu'il faille déifier l'Etat, supposé être la source du bien-être de l'humanité. Bien au contraire, l'histoire de notre siècle montre à l'évidence que ces idéologies et les démarches partisanes auxquelles elles conduisent se révèlent être les principaux obstacles à la satisfaction des intérêts qu'elles prétendent servir. Ce n'est que dans un cadre consultatif, rendu possible par la conscience de l'unité organique de l'humanité que toutes les facettes de la question des droits de l'homme peuvent trouver une expression légitime et créative.
Aujourd'hui, l'organisme à qui revient la tâche de créer un cadre pour promouvoir les droits de l'homme et les préserver de ceux qui voudraient les exploiter est constitué par le système des institutions internationales issu de ces terribles tragédies qu'ont été les deux guerres mondiales et de l'expérience d'une crise économique planétaire. Il est révélateur que l'expression "droits de l'homme" ne soit d'emploi courant que depuis la promulgation de la Charte des Nations Unies en 1945 et l'adoption de la Déclaration universelle des droits de l'homme, trois ans plus tard. Ces documents historiques ont formellement reconnu que l'instauration de la paix dans le monde doit aller de pair avec celle de la justice sociale. Le fait que cette déclaration ait été votée en Assemblée Générale sans opposition lui a conféré d'emblée une autorité qui n'a depuis cessé de se renforcer.
L'activité la plus intimement liée à la conscience, qui est le propre de la nature humaine, est la faculté d'explorer personnellement la réalité. La liberté de rechercher le but de l'existence et de développer des dons potentiels, qui rendraient un tel but accessible, a besoin d'être protégée. Les êtres humains ont le droit d'accéder librement au savoir. Qu'une telle liberté soit souvent dévoyée et que ce dévoiement soit, de façon flagrante encouragée par certains aspects de la société contemporaine n'enlève rien à la validité de cet élan.
Cet élan distinctif de la conscience humaine est la justification morale de nombre des droits inscrits dans la Déclaration universelle et dans d'autres pactes y relatifs. L'éducation universelle, la liberté de mouvement, l'accès à l'information et la possibilité de participer à la vie politique sont tous des aspects de son action qui nécessitent une garantie explicite de la part de la communauté internationale. Il en est de même de la liberté de pensée et de croyance, qui inclut la liberté religieuse, ainsi que du droit d'avoir des opinions et de les exprimer correctement.
L'humanité étant une et indivisible, chacun de ses membres est un gage qui lui est confié dès la naissance. Cette responsabilité constitue le fondement moral de la plupart des autres droits - économiques et sociaux notamment - que les textes des Nations Unies tentent de définir : droit à la sécurité de la famille et du foyer, droit à la propriété et à la vie privée. La communauté pour sa part, a, entre autres, l'obligation de fournir du travail, de pourvoir aux besoins de santé physique et mentale, d'assurer une sécurité sociale, un salaire décent, des périodes de repos et de loisirs, enfin d'offrir toute une série d'autres services que les membres d'une société peuvent légitimement attendre d'elle, à titre individuel.
Ce principe de responsabilité collective signifie aussi que tous sont en droit d'attendre des lois nationales et internationales qu'elles préservent les éléments culturels essentiels à l'identité de chacun. A l'instar du réservoir génétique de la vie biologique de l'être humain et de son environnement, l'immense richesse de notre variété culturelle, acquise au fil de milliers d'années est vitale au développement économique et au progrès social d'une race humaine qui, dans son intégralité, atteint la maturité. Elle représente un patrimoine qui devrait pouvoir fructifier dans le cadre d'une civilisation mondiale. D'une part, il faut protéger les expressions culturelles des influences matérialistes étouffantes actuellement à l'oeuvre, d'autre part permettre aux cultures d'agir les unes sur les autres pour former des modèles de civilisation en constante mutation, libres de toute manipulation à des fins politiques partisanes.
Bahá'u'lláh écrit : "La justice est la lumière des hommes. Ne l'étouffez pas avec les vents contraires de l'oppression et de la tyrannie. Le but de la justice est de faire naître l'unité parmi les hommes. L'océan de la sagesse divine s'enfle à l'intérieur de ce mot sublime tandis que tous les livres du monde n'en peuvent contenir le sens profond."
III. REDÉFINITION DES RELATIONS HUMAINES
Pour que les droits de l'homme, que la communauté des nations est en phase d'élaborer, acquièrent force de normes internationales applicables, une redéfinition en profondeur des relations humaines s'impose. Les conceptions actuelles de ce qui est naturel et approprié dans les relations - entre les êtres humains, entre ceux-ci et la nature, entre l'individu et la société ou encore entre les membres de la société et ses institutions - ne sont que le reflet de niveaux de compréhension atteints par la race humaine au cours des étapes antérieures de son évolution alors qu'elle était moins mûre. S'il est vrai que l'humanité accède maintenant à l'âge adulte, que tous les habitants de la planète ne forment qu'un seul peuple et que la justice doit devenir le principe directeur de l'organisation sociale, alors les conceptions actuelles nées de l'ignorance de ces nouvelles réalités qui émergent doivent être modifiées.
Un mouvement commence à s'ébaucher dans cette direction. Il conduira peu à peu à une nouvelle idée de la famille, des droits et des devoirs de chacun de ses membres. Il transformera totalement le rôle des femmes à tous les niveaux de la société. Il aura des effets considérables sur le réajustement du rapport de l'individu à son travail et sur la compréhension de la place que doit prendre l'activité économique dans sa vie. Il conduira à des transformations profondes de la façon de gérer les affaires humaines et les institutions créées pour assurer cette gestion. Il incitera les organisations non-gouvernementales, de plus en plus nombreuses, à rationaliser davantage leurs activités. Il permettra la création d'une législation contraignante pour la protection de l'environnement et la satisfaction des besoins de développement de tous les peuples. Enfin, la restructuration ou la transformation du système des Nations Unies que ce mouvement est déjà en train d'initier, aboutira à n'en point douter à l'établissement d'une fédération mondiale des nations disposant de ses propres organes législatif, judiciaire et exécutif.
Au coeur de cette reformulation du système des relations humaines il y a
ce que Bahá'u'lláh nomme la consultation. "En toute chose il est
nécessaire de se consulter", conseille-t-il. "Le don de la compréhension
des réalités ne mûrit véritablement que grâce à la consultation."
Le type de recherche de vérité qu'exige cette consultation, est très
différent des modes de négociations et de compromis qui tendent à
caractériser aujourd'hui le débat actuel sur les affaires humaines. Elle
ne peut s'effectuer dans une culture de contestation, autre
caractéristique majeure de la société contemporaine, au risque d'en être
profondément perturbée. Débats, propagande, méthode d'affrontement, tout
l'appareil de la politique partisane, si longtemps l'apanage courant des
actions collectives, est fondamentalement nuisible à l'objectif de cette
recherche, à savoir, parvenir à un consensus sur la réalité d'une
situation précise et prendre la mesure la plus sage parmi toutes les
options offertes à un moment donné.
Dans la consultation conseillée par Bahá'u'lláh, chacun s'efforce de dépasser son point de vue pour participer comme membre d'un organisme aux intérêts et buts propres. Dans cette atmosphère de franchise et de courtoisie, l'individu n'est pas propriétaire des idées qui lui sont apparues pendant la discussion, elles appartiennent au groupe, dans son ensemble qui est libre de les accepter ou non, ou encore de les repenser pour servir au mieux le but poursuivi. Une consultation ne réussit que dans la mesure où tous les participants adhèrent aux décisions finalement prises, quelle que soit l'opinion qu'ils avaient chacun au départ. Dans de telles conditions rien n'interdit de revenir sur une décision antérieure si celle-ci révèle à l'usage des imperfections.
Vue sous cet angle, la consultation est l'expression concrète de la justice opérant dans les affaires humaines. Elle est si vitale à la réussite de toute entreprise collective qu'elle doit nécessairement devenir un élément fondamental d'une stratégie de développement économique et social qui aurait des chances d'aboutir. En fait, les individus dont l'engagement et les efforts conditionnent le succès de ce type de stratégie ne pourront y participer que si tout projet fait de la consultation son principe d'organisation. "Nul ne peut atteindre son rang véritable excepté par son sens de la justice", constate Bahá'u'lláh. "Il n'y a de force que dans l'unité. Seule la consultation peut mener à la prospérité et au bien-être."
IV. SCIENCE ET RELIGION
L'épanouissement d'une société mondiale demande des niveaux de compétence qui dépassent tout ce que l'espèce humaine a été capable de réunir jusqu'ici. Pour y arriver, il faudra ouvrir considérablement aux individus et aux organisations sociales l'accès à la connaissance. L'éducation généralisée sera, certes, une compagne indispensable de ce processus, mais l'effort ne réussira que dans la mesure où les affaires humaines seront réorganisées de sorte qu'individus et groupe aient la possibilité d'acquérir la connaissance pour l'appliquer à la transformation de la société.
Les chroniques de l'histoire témoignent que deux sources de connaissance ont permis à la conscience humaine d'exprimer progressivement ses potentialités: la science et la religion. Ce sont elles qui organisèrent le vécu des hommes, dessinèrent son environnement ; ce sont par elles que s'exprimèrent ses pouvoirs latents, que sa vie morale et sa vie intellectuelle furent disciplinées. Elles furent les vrais géniteurs de la civilisation. Avec le recul, il est évident que cette double structure, la science et la religion, a surtout été efficace aux temps où, chacune dans sa propre sphère, elles ont su travailler de concert.
Le respect presque universel dont jouit aujourd'hui la science étant chose acquise, il n'est pas nécessaire d'insister sur ses titres de noblesse. Dans le cadre d'une stratégie de développement économique et social, la vraie question serait plutôt de savoir comment organiser l'activité scientifique et technologique. S'il s'agit de préserver le privilège des élites en place vivant dans un nombre restreint de pays, il est évident que l'énorme fossé qu'une telle organisation a déjà creusé entre riches et pauvres sur la planète continuera de s'élargir, avec les conséquences désastreuses pour l'économie déjà ci-dessus énoncées. Si on continue à penser la plus grande partie des peuples comme un ensemble de consommateurs de biens que la science et la technique ont produits ailleurs, on pourra difficilement baptiser "développement" des programmes soi-disant organisés pour servir les besoins de l'humanité.
La croissance de l'activité scientifique et technique est donc un défi aussi énorme qu'important. Des instruments de transformation sociale et économique aussi puissants ne doivent plus être le patrimoine de certaines branches privilégiées de la société aux dépens des autres ; il est nécessaire de les réorganiser de telle sorte que tous puissent en bénéficier selon leurs possibilités. Réorganiser signifie créer des programmes qui mettent a la disposition de tous ceux qui peuvent en tirer profit, l'éducation nécessaire à leur participation et établir, dans le monde entier, des centres d'apprentissage viables qui permettront de développer la capacité des peuples à participer au développement et à la mise en application de la connaissance. En effet, la stratégie du développement bien que reconnaissant la grande différence d'aptitude entre individus, doit prioritairement donner les moyens à tous les peuples du monde d'accéder sur une base égale à cette science et à cette technologie auxquelles, ils ont, de naissance, droit. Les arguments habituels en faveur du statu quo sont de plus en plus faibles au vu de l'accélération des techniques de communication qui portent maintenant l'information et la formation vers le plus grand nombre de gens possible autour du globe, où qu'ils soient et quelle que soit leur culture.
Quoique de nature différente, les défis que devra relever l'humanité dans sa vie religieuse sont tout aussi impressionnants. L'idée que la nature humaine a une dimension spirituelle - en réalité que son identité fondamentale est spirituelle - est une vérité qui, pour la grande majorité du monde n'a pas besoin de démonstration. Cette perception de la réalité, signalée dans les plus anciennes traces de la civilisation, fut entretenue pendant des millénaires par chacune des grandes traditions religieuses de l'histoire de l'humanité. Ses réalisations durables dans le domaine des lois, des arts et dans l'amélioration des relations humaines donnent à l'histoire épaisseur et sens. Sous une forme ou une autre, les apports de la religion influencent au quotidien la vie de la plupart des gens sur terre et, comme le montrent les événements dramatiques d'aujourd'hui, les désirs qu'elle éveille sont inextinguibles et incroyablement puissants.
Il en ressort à l'évidence que n'importe quel type d'efforts visant à promouvoir le progrès de l'humanité devrait mettre à contribution de telles potentialités universelles et créatrices. Alors pourquoi les questions spirituelles que se pose l'humanité ne sont-elles pas au coeur du discours sur le développement ? Pourquoi la plupart des priorités - et même la plupart des convictions qui les fondent - sur le programme de développement international n'ont-elles été jusqu'à maintenant déterminées que par ces conceptions matérialistes auxquelles seule une minorité de la population du monde adhère ? Enfin quel poids donner à une déclaration qui affiche son adhésion au principe de la participation universelle tout en niant, dans les faits, la validité du passé culturel par lequel les participants se définissent ?
On peut objecter que les questions morales et spirituelles ayant été historiquement étroitement liées aux doctrines théologiques sujettes à controverses mais non soumises aux preuves objectives, elles ne rentrent pas dans le cadre des préoccupations sur le développement de la communauté internationale. Leur accorder la moindre importance reviendrait précisément à ouvrir la porte à ces influences dogmatiques qui ont nourri tant de conflits sociaux et entravé le progrès humain. Ce qui est en partie vrai. Les tenants des différents systèmes théologiques portent une lourde responsabilité, non seulement pour la mauvaise réputation que s'est acquise la religion aux yeux de la plupart des penseurs progressistes, mais aussi pour les inhibitions et les déformations contenues dans l'éternel discours de l'humanité sur le sens du spirituel. Néanmoins, en conclure que la réponse consiste à décourager la recherche des réalités spirituelles et à ignorer les racines les plus profondes de la motivation humaine est un leurre évident. L'histoire récente montre que chaque fois qu'une telle censure a été appliquée, elle a eu pour résultat la prise en main de l'avenir de l'humanité par une nouvelle orthodoxie, une orthodoxie qui soutient que la vérité est amorale et que les faits sont indépendants des valeurs.
La religion a emporté ses plus grands succès dans le domaine moral de cette existence terrestre. Grâce à ses enseignements et à l'exemple de vies qui en furent illuminées, la plupart des gens, à toutes les époques et en tous lieux, développèrent la capacité d'aimer. Ils apprirent à discipliner l'aspect animal de leur nature, à faire de grands sacrifices pour le bien commun, à pratiquer le pardon, la générosité et la confiance, à utiliser richesses et autres ressources pour servir le progrès de la civilisation. Et pour traduire sur une vaste échelle ces avancées morales en normes de vie sociale, des systèmes institutionnels furent conçus. Même obscurcis par des accrétions dogmatiques et déviés de leur but par des conflits sectaires, les élans spirituels suscités par des personnages transcendants comme Krishna, Moise, Bouddha, Zoroastre, Jésus et Mahomet ont exercé l'influence la plus profonde sur le processus civilisateur de la personne humaine.
Etant donné que le défi majeur est de permettre à l'humanité d'accéder à la connaissance par une ouverture plus grande, il s'agit d'installer un dialogue constant et dense entre la science et la religion. C'est un truisme - cela devrait l'être aujourd'hui en tous cas - que d'affirmer dans chaque sphère de l'activité humaine et à chaque niveau, que intuitions et découvertes dont dépendent les réussites scientifiques devraient chercher dans le domaine spirituel et éthique les directives pour une application appropriée. Par exemple, ils devraient apprendre à séparer les faits des suppositions, à distinguer entre vision subjective et réalité objective ; et les individus et les institutions ainsi dotés contribueront d'autant plus au progrès humain qu'ils seront consacrés à la vérité et détachés des incitations de leurs intérêts propres et de leurs passions. Une autre faculté que la science doit développer chez tous les peuples est une façon de penser toutes choses en termes d'évolution, y compris le processus historique. Mais si ce progrès intellectuel doit finalement contribuer à promouvoir le développement, il devra se faire dans une perspective affranchie de tout préjugé de race, de culture, de sexe ou de croyance sectaire. De même l'instruction qui permettra aux habitants du monde de participer à la production des richesses ne contribuera au développement que dans la mesure où l'élan généré sera éclairé par cette perception spirituelle : servir l'humanité est la raison d'être de la vie individuelle comme de l'organisation sociale.
V. L'ÉCONOMIE
C'est à travers la généralisation du savoir, par la démarche d'élever le niveau des capacités humaines, qu'on se doit d'affronter les problèmes économiques avec lesquels l'humanité est en prise. Comme l'expérience des dernières décennies l'a amplement démontré, les efforts et les bénéfices matériels ne peuvent être une fin en soi. S'ils pourvoient aux besoins élémentaires de l'humanité, (habitat, nourriture, santé...) leur valeur réelle réside en ce qu'ils permettent d'élever le seuil des possibilités de compétences humaines. Le rôle le plus important que les efforts économiques doivent entreprendre pour le processus de développement consiste à doter les hommes et les institutions de moyens, en vue d'atteindre l'objet réel de ce développement qui est d'établir des fondations d'un nouvel ordre social où pourront se cultiver les potentialités sans limites, latentes dans la conscience humaine.
La pensée économique est mise au défi d'accepter sans tergiverser ce but ainsi que le rôle qu'elle doit jouer en encourageant la création de moyens pour y parvenir. Seulement alors l'économie et les sciences voisines dégagées du poids des préoccupations matérialises qui les en détournent, pourront exprimer enfin leur potentiel pour devenir des outils vitaux à la réalisation du bien-être humain dans le plein sens du terme. Ici, plus qu'ailleurs, la nécessité d'un dialogue rigoureux entre le travail de la science et les inspirations de la religion devient évidence.
Le problème de la pauvreté en est un exemple marquant. Les solutions qui comptent l'affronter prennent appui sur la certitude qu'existent, ou que peuvent être créées par l'effort scientifique et technologique, des ressources matérielles capables d'alléger et finalement d'endiguer un des aspects permanents de la condition humaine. Si l'on n'a pas été soulagé de ce fléau, c'est que les progrès scientifiques et techno- logiques répondent à un ensemble de priorités superficiellement reliées aux vrais intérêts de la majorité de l'humanité. Si on veut, un jour, enrayer la pauvreté de la surface du globe, une révision radicale de ces priorités s'impose. Cela exige une recherche déterminée de valeurs justes, une recherche qui mettra à rude épreuve les ressources spirituelles et scientifiques de l'humanité. Pour se joindre à cette entreprise, la religion verra son apport entravé, tant qu'elle restera prisonnière de doctrines sectaires qui confondent contentement et passivité et qui enseignent que la pauvreté fait partie intégrante de la vie humaine dont on ne se libère que dans l'autre monde. Pour participer avec efficacité à cette lutte pour le bien-être matériel de l'humanité, l'esprit religieux doit trouver dans la source d'où jaillit son inspiration de nouveaux concepts spirituels et de nouveaux principes en accord avec une époque qui cherche à établir l'unité et la justice parmi les hommes.
Le chômage soulève des problèmes analogues. Dans la pensée contemporaine, le concept de travail a été réduit à une activité lucrative ayant pour but d'acquérir les moyens de consommer des biens. Le système tourne en vase clos : acquisition et consommation permettent de maintenir et d'augmenter la production qui, à son tour, contribue à créer des emplois rémunérés. Certes, prises une à une, toutes ces activités sont nécessaires au bien-être de la société. Mais le caractère de cette conception générale se révèle erroné. Témoin l'apathie que les observateurs sociaux notent partout chez la masse des travailleurs, et la démora- lisation d'une armée de chômeurs qui ne cesse de croître.
Dès lors, on ne peut s'étonner que des voix s'élèvent pour exprimer le besoin urgent d'une nouvelle "éthique du travail" à l'échelle mondiale. Là encore, seules les découvertes issues d'une interaction créatrice entre les systèmes de connaissance scientifique et religieux pourront produire cette réorientation Si fondamentale des habitudes et des attitudes. A la différence des animaux qui dépendent, pour se nourrir, de ce que leur environnement leur offre, l'être humain exprime ses immenses capacités par un travail productif qui satisfait ses besoins et ceux de ses semblables. Il participe ainsi à son niveau, si modeste soit-il, au progrès de la civilisation. Il accomplit un but qui l'unit aux autres. Si un travail est consciemment entrepris dans un esprit de service à l'humanité, Bahá'u'lláh considère qu'il est une forme de prière, une manière d'adorer Dieu. Chacun a la capacité de se projeter dans cette optique, et c'est à cette capacité inaliénable de l'être qu'une stratégie de développement doit faire appel, quels que soient la nature des buts poursuivis, et les récompenses attendues. Une perspective plus restreinte ne pourra jamais motiver suffisamment les peuples du monde pour qu'ils s'engagent à fournir les efforts immenses que les activités économiques exigeront dans l'avenir.
Autre défi pour la pensée économique : la crise de l'environnement. Il est aujourd'hui, froidement démontré que les théories fondées sur la croyance que la nature possède une capacité illimitée à répondre à toutes les exigences humaines sont fallacieuses. Une culture qui attache une valeur absolue à l'expansion, à l'acquisition et à la satisfaction des besoins se voit confrontée à une évidence : de tels buts ne suffisent pas, en soi, à déterminer une politique cohérente. D'autre part, toute prise de décision pour tenter de résoudre les questions économiques qui ne tiendrait pas compte du fait que la plupart des problèmes importants sont plus mondiaux que locaux, serait tout à fait inadéquate.
L'espoir fervent que cette crise morale pourra être résolue, d'une manière ou d'une autre, en déifiant la nature elle-même, n'est qu'un signe évident du désespoir intellectuel et spirituel engendré par la crise. Même si elle est bienvenue, la reconnaissance que la création est un tout organique et que l'humanité a le devoir d'en prendre soin ne suffit pas à influencer la conscience des peuples au point de créer un nouveau système de valeurs. C'est seulement en franchissant un seuil décisif dans la compréhension, à la fois scientifique et spirituelle, que l'espèce humaine aura la force d'assumer les responsabilités que l'histoire lui impose.
Par exemple, chacun devra tôt ou tard, retrouver la capacité à savoir se satisfaire, à accepter la discipline morale et le sens du devoir, considérés, voici encore peu de temps, comme des traits essentiels de l'être humain. Régulièrement au cours de l'histoire, les enseignements des fondateurs des grandes religions surent imprégner de ces qualités le caractère d'une multitude d'individus qui répondaient à leur message. Ces qualités sont plus vitales encore aujourd'hui qu'hier, mais leur expression doit désormais incarner une forme adaptée à la maturité de l'humanité. Ici encore, la religion va devoir se libérer des obsessions du passé: la capacité à se satisfaire n'est pas le fatalisme, la moralité n'a rien à voir avec le puritanisme mortificateur qui a Si souvent prétendu parler en son nom, et le sens authentique du devoir n'entraîne pas un sentiment d'autosatisfaction mais de respect de soi.
Le refus persistant fait aux femmes d'obtenir une complète égalité avec les hommes rend plus aigu le problème que la science et la religion ont à traiter dans le domaine économique. Pour tout observateur impartial, aucune réflexion réaliste sur le futur bien-être de la terre et de ses habitants ne peut ignorer le principe fondamental de l'égalité des sexes. Pendant les siècles d'enfance et d'adolescence de l'humanité, cette vérité sur la nature humaine fut largement méconnue : "Femmes et hommes ont été et seront toujours égaux aux yeux de Dieu", voilà ce qu'affirme solennellement Bahá'u'lláh. L'âme rationnelle n'a pas de sexe et quelles que soient les injustices sociales qui aient pu, dans le passé, être dictées par des exigences de survie, elles ne sont plus, à l'évidence, justifiées alors que le genre humain est au seuil de sa maturité. L'engagement à établir la complète égalité entre femmes et hommes, dans tous les domaines de la vie et à chaque niveau de la société, sera la condition du succès des efforts entrepris pour concevoir et appliquer une stratégie de développement mondial.
En fait, c'est le progrès dans ce domaine précis, celui de l'égalité entre femmes et hommes, qui servira de critère pour évaluer la réussite d'un programme de développement. Etant donné le rôle vital de l'activité économique dans le progrès de la civilisation, celui-ci se mesurera à la vitesse à laquelle les femmes accéderont à toutes les voies de l'effort économique. Il ne s'agit pas simplement d'assurer aux deux sexes une répartition équitable des chances, aussi important que soit cet aspect de la question. Ce défi exige pour être relevé de repenser de fond en comble les questions économiques afin qu'elles intègrent complètement tout un champ de l'expérience et de l'inspiration humaine jusque là exclu. Les modèles économiques classiques, avec leurs marchés impersonnels dans lesquels les êtres humains agissent comme des décideurs individualistes aux choix centrés sur eux-mêmes, ne sont plus adaptés aux besoins d'un monde motivé par les idéaux de justice et d'unité. Les nouveaux modèles économiques que la société verra de plus en plus la nécessité de développer, seront structurés par des sentiments nés d'échanges amicaux et d'expériences partagées, par la certitude que les êtres humains vivent en relation les uns avec les autres, mais aussi par la perception du rôle vital que la famille et la communauté jouent dans le bien-être social. Cette percée intellectuelle - un point de vue résolument altruiste plutôt qu'égocentrique - devra s'appuyer sur les sensibilités à la fois spirituelles et scientifiques du genre humain, et des millénaires de pratique qui ont préparé les femmes à jouer un rôle crucial dans cet effort commun.
VI. LE POUVOIR
Envisager une transformation sociale d'une telle ampleur revient à se poser la question du pouvoir désigné pour l'accomplir et la question qui lui est liée, de l'autorité pour exercer un tel pouvoir. Là encore, l'unification accélérée de la planète et de ses peuples, comme pour toutes les autres implications du même ordre, crée le besoin urgent de redéfinir ces deux termes familiers.
Au cours de l'histoire, et en dépit des démentis des théologies et des idéologies, le pouvoir a presque toujours été exercé comme un privilège dont jouissaient certains individus ou groupes. Souvent exprimée en termes de moyens a utiliser contre d'autres, cette interprétation du pouvoir fait partie intégrante de la culture de division et de conflit qui caractérise l'espèce humaine depuis des millénaires et ce, quelle que soit l'orientation sociale, religieuse ou politique qui dominait en une époque et en un lieu donnés. Plus généralement, le pouvoir a été l'apanage d'individus, de factions, de peuples, de classes ou de nations ; plus l'apanage, d'ailleurs, d'hommes que de femmes. Il a permis à ses bénéficiaires de cumuler, de dominer, d'écraser, de résister, de vaincre.
Les processus historiques qui en découlent ont été à l'origine des reculs terribles qui ont touché le bien-être de l'humanité, mais aussi des avancées extraordinaires de la civilisation. Apprécier les retombées bénéfiques de ces attitudes implique également d'en reconnaître les inconvénients, du moins, les limites évidentes de schémas comportementaux que l'une et l'autre ont produits. Liées à l'usage fait du pouvoir pendant la longue enfance et adolescence de l'humanité, ces habitudes et ces attitudes ont atteint désormais les limites extrêmes de leur efficacité. En un temps où les problèmes urgents sont de nature mondiale, persister dans l'idée que "pouvoir" signifie "avantages" pour certaines catégories de la famille humaine serait non seulement une grave erreur théorique, mais sans aucun intérêt pratique pour le développement économique et social de la planète. Ceux qui y adhèrent - et qui, en d'autres temps, auraient pu l'appliquer en toute confiance - voient aujourd'hui leurs projets s'empêtrer dans d'inexplicables frustrations et obstacles. Le pouvoir, dans son expression traditionnelle de rapport de force, est aussi peu capable de répondre aux besoins futurs de l'humanité que la technique du chemin de fer peut l'être pour placer des satellites en orbite !
L'analogie est plus qu'appropriée. Son évolution vers l'âge adulte force la race humaine à se libérer du concept et de l'exercice du pouvoir hérités du passé. Qu'elle puisse s'en libérer montre que, même imprégnée des conceptions traditionnelles, l'humanité a toujours été capable d'imaginer le pouvoir sous des formes répondant à ses espoirs. L'histoire montre d'abondance que - même épisodiquement et de manière plus ou moins habile - des personnes de tous horizons et en toute époque ont su trouver en eux-mêmes une grande variété de ressources créatrices. L'exemple le plus probant est probablement le pouvoir même de la vérité, facteur de changement lié, dans les domaines philosophiques, religieux, artistiques et scientifiques, à quelques-unes des plus grandes percées de l'espêce. Un autre pouvoir évident capable de déclencher une immense réponse humaine est celui représenté par la force de caractère, tout aussi puissante est l'influence de l'exemple qui agit sur des êtres humains ou sur des groupes sociaux. Une autre des forces, pratiquement jamais mise en évidence jusqu'ici, est celle que la réalisation de l'unité fera naître ; pouvoir dont l'influence est "si puissante", selon les paroles de Bahá'u'lláh, "qu'elle peut illuminer le monde entier".
Dans la mesure où le pouvoir sera exercé selon des principes en harmonie avec les intérêts en perpétuelle évolution d'une race humaine qui mûrit rapidement, les institutions de la société pourront susciter et diriger les potentialités latentes dans la conscience des peuples du monde. Parmi ces principes, il y a l'obligation, pour ceux qui détiennent l'autorité, de gagner la confiance, le respect et le soutien sincère de ceux dont ils aspirent à gouverner les actions ; de consulter, ouvertement et le plus complètement possible, ceux dont les intérêts sont influencés par les décisions à prendre ; de s'assurer objectivement de la réalité des besoins et des aspirations des communautés qu'ils servent ; de tirer bénéfice des progrès moraux et scientifiques pour utiliser au mieux les ressources de la communauté, y compris l'énergie de ses membres. Parmi les principes d'une autorité effective, aucun n'est aussi important que celui de donner la priorité à établir et maintenir l'unité entre les membres d'une société et les membres de ses institutions administratives. Lié à cette priorité se trouve, comme mentionné plus haut, l'engagement à rechercher en toute chose la justice.
En clair, ces principes ne pourront fonctionner que dans le cadre d'une culture essentiellement démocratique, dans l'esprit et dans la forme. Dire cela cependant ne signifie pas donner son aval à l'idéologie des différents partis qui, partout, s'est abusivement revêtue du nom de démocratie et qui, en dépit de l'importance de ses contributions passées au progrès humain, se trouve aujourd'hui embourbée dans cette apathie, cette corruption et ce cynisme auxquels elle a donné, elle-même, naissance. Pour designer ceux qui devront prendre les décisions collectives de sa part, la société n'a pas besoin de ce théâtre politicien de candidatures personnelles ou de listes de candidats, de campagne électorale ou de pêche aux voix, dont il ne tire aucun bénéfice. Tous les peuples, dès lors qu'ils seront de plus en plus formés et convaincus que leurs intérêts de développement véritable reposent sur les programmes qu'on leur propose, sont en mesure d'adopter des procédures électorales qui affineront la sélection pour le choix de leurs instances de décisions.
A mesure que s'accélère le mouvement vers l'unification de l'humanité, ceux qui seront ainsi choisis devront toujours plus orienter leurs efforts dans une optique globale. Les élus qui dirigent les affaires humaines, aussi bien à l'échelle nationale qu'à l'échelle locale, devraient, selon Bahá'u'lláh, se considérer responsables du bien-être de l'humanité dans son ensemble.
VII. UNE STRATÉGIE DE DÉVELOPPEMENT MONDIAL
Le devoir de créer une stratégie de développement mondial qui puisse accélérer l'entrée de l'humanité dans l'âge adulte nous met au défi de remodeler radicalement toutes les institutions de la société. C'est à tous les habitants de la planète que ce défi est lancé : l'ensemble des êtres humains, les membres des institutions dirigeantes à tous les niveaux, les personnes qui travaillent dans les organismes de coordination internationale, les chercheurs en sciences exactes et en sciences humaines, tous ceux qui ont des talents artistiques ou qui ont accès aux média, et enfin les dirigeants des organisations non-gouvernementales. La réponse à ce défi doit s'appuyer sur une reconnaissance sans condition de l'unité du genre humain, sur l'engagement à établir la justice comme principe d'organisation de la société, et sur une détermination à exploiter au maximum les possibilités qu'un dialogue systématique entre le génie scientifique et religieux de l'espèce peut apporter àl'épanouissement du talent des hommes. La démarche exige de repenser radicalement la plupart des concepts et des présupposés qui gèrent aujourd'hui la vie économique et sociale. Il faut en même temps associer cette démarche à la certitude que, quelle que soit la durée du processus et quels que soient les obstacles rencontrés, les affaires humaines peuvent être dirigées sur des voies qui servent les besoins réels de l'humanité.
Seulement si l'enfance de l'humanité a véritablement pris fin et si l'aube de l'âge adulte pointe, cette vision de l'humanité représente quelque chose de plus qu'un autre mirage utopique. S'imaginer, par ailleurs, qu'un effort d'une telle ampleur pourrait être accompli par des peuples découragés et par des nations antagonistes serait faire fi de toute sagesse. C'est seulement si le cours de l'évolution sociale est parvenu à un point décisif, comme l'affirme Bahá'u'lláh, un moment où tous les phénomènes de l'existence sont brusquement poussés vers de nouvelles étapes de leur développement, qu'une telle éventualité devient concevable. La conviction profonde qu'une transformation aussi grande dans la conscience humaine est en cours a inspiré les idées exposées dans cette déclaration. A tous ceux qui y trouvent un écho aux aspirations de leur coeur, les paroles de Bahá'u'lláh apportent l'assurance qu'en ce jour incomparable Dieu a doté l'humanité de ressources spirituelles tout à fait à la mesure du défi:
"O vous qui habitez le ciel et la terre ! Voici que vient d'apparaître ce qui n'était jamais encore apparu. Voici le jour où les plus précieuses faveurs ont été prodiguées aux hommes, le jour où sa puissante grâce a imprégné toutes les choses créées."
Les troubles qui convulsent aujourd'hui les affaires humaines sont sans précédent et beaucoup de leurs conséquences sont terriblement destructrices. Des dangers jamais imaginés s'amoncellent autour d'une humanité désorientée. La plus grande erreur, dans cette conjoncture, serait de permettre que la crise actuelle fasse douter du résultat. Un monde est en train de disparaître, un autre se débat pour naître. Les habitudes, les attitudes et les institutions qui, au cours des siècles se sont accumulées sont soumises à des épreuves aussi nécessaires au développement de l'humanité qu'inévitables. Il est demandé aux peuples du monde de faire preuve d'un peu de foi et de se montrer à la hauteur des immenses énergies dont le Créateur de toute chose a doté ce printemps spirituel du genre humain. Bahá'u'lláh lance cet appel :
"Soyez unis dans vos délibérations, soyez unis dans vos pensées. Que chaque matin soit meilleur que la veille et chaque lendemain plus riche que le jour précédent. Le mérite de l'homme ne réside pas dans l'étalage de sa richesse mais dans le service et la vertu. Prenez soin de purger vos paroles des fantaisies futiles et des désirs matériels et que vos actes soient exempts de toute ruse et de toute méfiance. Ne perdez pas la richesse de vos précieuses vies à poursuivre un penchant mauvais et corrompu ; que vos oeuvres ne servent pas à promouvoir vos intérêts personnels.
Soyez généreux dans vos jours d'abondance et patients aux heures de malheur. L'adversité est suivie du succès, les réjouissances sont suivies de lamentations. Protégez-vous de l'oisiveté et de la paresse et, jeunes ou vieux, humbles ou grands, intéressez-vous à ce qui est profitable à l'humanité. Ne semez pas les graines de la discorde parmi les hommes et ne plantez pas les épines du doute dans les coeurs purs et radieux."
Bureau d'Information publique
Communauté internationale bahá'íe
Haifa, Israel
Source : www.bahai-biblio.org
Dernière mise à jour le 11 octobre 2007